Burkina Faso : Ibrahim Traoré annonce la fin des vêtements de seconde main pour relancer l’industrie textile
Le président burkinabè veut interdire l’importation de friperies pour promouvoir la production locale et restaurer la dignité nationale.

Le Burkina Faso, sous l’impulsion du président Ibrahim Traoré, envisage d’interdire l’entrée des vêtements de seconde main sur son territoire. Cette mesure vise à redonner un souffle à l’industrie textile locale, tout en rompant avec une logique d’assistanat perçue comme humiliante. Une décision audacieuse qui soulève des espoirs, mais aussi des défis économiques.
Une décision symbolique et stratégique
Dans une volonté claire de redéfinir les priorités nationales, Ibrahim Traoré envisage de bannir les habits de seconde main – ces vêtements usagés venus principalement des pays occidentaux, souvent collectés par des ONG puis revendus sur les marchés africains.
Cette décision n’est pas simplement économique : elle est hautement symbolique. Elle s’inscrit dans une dynamique de revalorisation de l’identité burkinabè et d’affirmation de la souveraineté économique du pays.
Une économie parallèle qui nuit à la production locale
Depuis des décennies, le marché des friperies s’est imposé comme l’un des principaux fournisseurs d’habillement pour des millions d’Africains. En apparence charitable, ce système cache en réalité une industrie lucrative : les vêtements sont donnés gratuitement dans les pays du Nord, puis acheminés en Afrique où ils sont revendus à bas prix.
Résultat : les producteurs locaux sont incapables de concurrencer ces articles bon marché. L’industrie textile nationale s’effondre, les emplois disparaissent, et les populations restent dépendantes d’un flux importé dont elles ne contrôlent ni la qualité ni la provenance.
Une question d’honneur et de dignité nationale
Le président Traoré compare cette réalité à une métaphore forte : accepter un vêtement de seconde main, c’est comme manger une mangue déjà mordue. Cela pose la question de la dignité : faut-il tout accepter au nom de la pauvreté ?
Dans un continent où le mot « développement » est souvent galvaudé, Ibrahim Traoré rappelle que le respect de soi commence par le rejet de ce qui rabaisse. À ses yeux, porter les habits rejetés des autres revient à intérioriser une position d’infériorité. Le Burkina Faso, affirme-t-il, mérite mieux.
Le précédent de l’Afrique de l’Est : entre succès et menaces
Le Rwanda, le Kenya, l’Ouganda ou encore le Burundi ont déjà tenté cette politique dans les années 2010. Résultat : une reprise notable du secteur textile local, une création d’emplois, une valorisation du coton national. Mais ces pays ont aussi subi des pressions économiques majeures de la part des États-Unis.
Washington, via la loi AGOA (African Growth and Opportunity Act), a menacé de retirer l’accès préférentiel au marché américain aux pays qui interdiraient l’importation de vêtements usagés. Le Zimbabwe, particulièrement, a souffert de lourdes sanctions.
En d’autres termes, refuser les friperies, c’est risquer de perdre l’accès au marché américain. Un chantage économique qui révèle les dessous d’un système présenté comme « caritatif », mais structuré pour maintenir la dépendance africaine.
Les enjeux économiques : entre autosuffisance et réalités du marché
La volonté d’Ibrahim Traoré est claire : créer un marché textile burkinabè, de la culture du coton jusqu’à la fabrication et la distribution de vêtements. Cela signifie :
- Stimuler les PME locales du textile
- Encourager les jeunes créateurs de mode
- Créer des emplois durables
- Réduire les importations inutiles
Cependant, les défis restent nombreux. Le coût de production des vêtements locaux est souvent plus élevé que celui des friperies. De plus, les importations chinoises de vêtements neufs à bas prix constituent une concurrence féroce. Sans subventions étatiques ni politiques de protection douanière, les entreprises burkinabè risquent de ne pas tenir la cadence.
Une vision héritée de Sankara : souveraineté et intégrité
La ligne politique d’Ibrahim Traoré n’est pas sans rappeler celle du capitaine Thomas Sankara, président révolutionnaire du Burkina Faso dans les années 1980. Ce dernier avait affirmé :
« Portons ce que nous produisons, consommons ce que nous cultivons. »
En refusant le confort apparent de l’assistance occidentale, Sankara voulait bâtir une économie fière, autonome et endogène. Aujourd’hui, Traoré semble marcher dans ses pas : il a même déclaré ne pas vouloir percevoir le salaire présidentiel, préférant rester payé comme un capitaine militaire, son grade d’origine.
Ce geste, à la fois politique et moral, renforce l’image d’un dirigeant au service du peuple, et non d’une élite déconnectée.
Les risques d’une transition brutale
Interdire les vêtements de seconde main du jour au lendemain présente néanmoins des risques sociaux immédiats. Une partie importante de la population vit du commerce des friperies. Interdire ces produits signifie perdre un revenu stable, pour des milliers de familles déjà précaires.
De même, les vêtements locaux, plus chers, pourraient devenir inaccessibles pour les classes les plus pauvres. La transition vers une économie textile locale devra donc être progressive, planifiée et accompagnée de mesures sociales.
A Lire: Ibrahim Traoré et la Révolution du Burkina Faso : Un Modèle pour l’Afrique ?
Conclusion : entre rupture nécessaire et prudence stratégique
La décision du Burkina Faso d’interdire les vêtements de seconde main, si elle est confirmée, représente une rupture historique avec une logique de dépendance vestimentaire. Elle s’inscrit dans une volonté de reconquête économique, culturelle et politique. À travers ce choix, Ibrahim Traoré pose une question simple mais puissante : jusqu’à quand accepterons-nous d’être les dépotoirs du monde ?
Mais pour que cette révolution textile tienne ses promesses, elle devra s’appuyer sur des investissements massifs, un soutien aux entrepreneurs locaux, et une mobilisation populaire. L’heure est venue de coudre les fils de la dignité africaine… avec du tissu fabriqué chez soi.